dimanche 20 janvier 2013

Platon, disciple strict de Socrate

Les discours platoniciens ne sont pas du tout comme il est prétendu des réflexions philosophiques de Platon mettant en scène Socrate.
Au fait, faut-il écrire "platonisme" ou bien "platonicisme", ce dernier a ma préférence en général.
Mais ce qui est certain, c'est que la pensée de Platon n'est pas du tout personnelle.
Platon avec sa famille, et notamment ses frères, est un disciple de Socrate. Il a évité de trop manifester sa présence dans les dialogues, cas à part de L'Apologie de Socrate où il apporte son soutien financier, cas à part aussi de La République où deux frères de Platon jouent un rôle important, se faisant notamment l'avocat du diable pour pousser Socrate dans ses derniers retranchements jusqu'à établir que le souverain bien est d'être juste.
Je vais devoir rafraîchir tout ça, reprendre mon travail et organiser mes considérations analytiques, mais j'ai à dire en gros ce qui suit.

Socrate fascinait Platon par sa vertu, d'une part, et, d'autre part, par sa finesse de raisonnement qui a jeté les bases de la philosophie, par opposition à la simple sagesse ou à la sophistique.
Le raisonnement philosophique de Socrate se nourrissait des raisonnements scientifiques de son époque. Ces raisonnements scientifiques sont sensibles dans les exposés suivis du Timée. Du coup, Socrate a cessé de croire aux dieux grecs, aux dieux de la cité. Mais il ne pouvait se risquer à exprimer publiquement son dédain. Il se contente d'une certaine ironie, se réfugie parfois dans des prétentions théâtrales à la piété, comme dans Phèdre, où il joue même à faire passer la thèse adverse comme impiété. Dans Phèdre également, il évite par ailleurs très habilement d'interroger l'origine des fables. Il sait que certains naturalisent les fables, présentant l'action de certains dieux comme des allégories expliquant des faits physiques.
Socrate évoque ces explications qu'il ne réfute bien sûr pas, mais il fait mine de s'en moquer à l'aide d'une excellente idée : la naturalisation des fables est un problème, épuisant et infini, de cas par cas qui ne doit pas détourner de l'essentiel, la connaissance de soi. Tout cela est dit dans le Phèdre.
Mais, le procès de Socrate, s'il est appuyé par trois accusateurs, est précipité par l'accusation première d'un poète. Le poète, par excellence, restait dans le discours traditionnel d'éloge des dieux de la cité. Malgré sa fascination pour la poésie, et notamment pour son caractère inspiré, Platon va exceptionnellement marquer significativement son humeur à cet égard. Platon est perçu comme ambivalent en ce qui concerne la poésie. Il vante le poète inspiré, mais il bannit les poètes de la Cité comme autant d'imitateurs. Tel est le discours des apprentis historiens de la philosophie.
En réalité, cette ambivalence ne doit pas être traitée dans le pur domaine de l'abstraction. Socrate s'en est pris de fait à la dimension politique du problème. Il a assimilé les poètes vénérant les dieux à une ribambelle de producteurs d'imitations incapables de penser. Il existe bien un idéal de poète inspiré, mais, dans la cité athénienne, il constate que les poètes font clan autour d'un certain passéisme. Ce sont des imitateurs-manipulateurs. Ce sont aussi des gens qui, et Aristophane le dramaturge est impliqué, ont considéré Socrate comme un personnage ne croyant pas aux dieux, un personnage politiquement engagé du côté aristocratique.
L'accusation qui a mené Socrate à la mort est clairement celle d'impiété, avec l'appel à une nouvelle distribution des expressions de la divinité. Et cette impiété est déclarée motrice dans la corruption des jeunes, l'accusation d'appui apporté aux aristocrates étant sans doute ainsi évitée.
Parmi les lecteurs de Platon, il y a ceux qui lisent les dialogues dans leur dimension historique et ceux qui lisent ça comme de la philosophie pure et dure simplement présentée de manière apéritive. Je ne comprends pas comment on peut être assez nul pour soutenir le deuxième point de vue.
Platon a longtemps composé des dialogues qui évitaient de justifier l'accusation fatale, mais il ne s'en sort pas spécialement bien, car il est pris dans une dynamique contradictoire : éviter que Socrate ne soit mal perçu et développer tôt ou tard la philosophie de Socrate.
Platon va finir par dérouler le programme tel quel des années après. La République déploie les prétentions au plan politique, mais il a fallu y ajouter encore la cosmologie du Timée, dialogue extrêmement compliqué et capital pour comprendre la philosophie socratique prise dans le niveau de pensée scientifique d'une époque et d'un lieu de l'humanité, c'est toute la métaphysique de la nature de Socrate et beaucoup de choses peuvent s'éclairer si on prend la peine de la maîtriser dans ces détails et pas seulement dans ses articulations majeures nettement plus faciles à suivre.
Le Timée justifie pleinement l'accusation d'impiété portée contre Socrate. Quelques-uns des principaux dieux grecs sont assimilés à des planètes rondes effectuant des parcours sphériques (la sphère est la forme parfaite). Les dieux ont été inventés par une force démiurgique qui leur est supérieure et il y a d'ailleurs des points compliqués, confus et contradictoires dans l'immense exposé cosmologique du Timée.
Un professeur de philosophie qui dit "non!", on peut lui proposer de changer de métier.
Il y a d'ailleurs une cosmologie soft dans Phèdre et une cosmologie pointue dans le Timée, mais je ne m'en occuperai pas pour l'instant. Le Timée, ce n'est pas un dialogue où Socrate parle, mais un dialogue où des disciples récitent la leçon. Le début du dialogue met clairement en avant le fait, et donc le phénomène d'allégeance. L'accusation de corruption de la jeunesse est claire et nette, les prétentions de Socrate à un discours scientifique comme Anaximandre aussi. Et, en prime, le début du Timée affirme péremptoirement et dogmatiquement quelques grandes lignes du discours politique de La République.
Les historiens qui vous parlent d'une philosophie propre à Platon, en nous racontant, elle est bien bonne!, qu'on ne sait pas exactement ce que professait Socrate, ils feraient bien d'aller se coucher.
Evidemment, il y a le procès de Socrate où on a droit à du très bon, mais il y a aussi des biais. Il ne faut pas lire cela comme de la pure et stricte philosophie, même si c'est les débuts de la philosophie. Il faut lire aussi le Phédon, car Socrate est quand même superbe et admirable quand il dit qu'il ne peut pas s'empêcher de philosopher et qu'il vit pour la philosophie.
Réellement, Socrate fut admirable et son approche philosophique a des moments éblouissants. La République pose problème, mais le début (au moins le livre I) est magistral. Mais là, je dois me rafraîchir la mémoire, hélas! Je reprendrai cela plus tard.
Il y a maintenant dans ce procès quelque chose d'important également, c'est que Socrate a perdu son procès. Socrate était quelqu'un d'orgueilleux et sa condamnation est précipitée par sa présomption.
Après la plaidoirie des accusateurs qui n'a pas été rendue par écrit, on a droit à la plaidoirie de Socrate où les erreurs transparaissent inévitablement, même si Platon travaille avec sa mémoire et sa volonté de présenter les choses sous leur meilleur jour. Il ne peut d'ailleurs pas tricher, vu que certains qui liront son texte auront été des témoins dans la foule qui s'est rendue à ce procès.
La plaidoirie de Socrate n'a pas empêché la condamnation. Une peine est proposée par les accusateurs. Mais, bien que cela soit traversé de considérations admirables, Socrate va froisser le public par des propos lourdement présomptueux. La réaction d'amour-propre de Socrate équivaut à un suicide. Condamné premièrement à une majorité établie sur peu de voix, il se retrouve condamné à mort par une écrasante majorité.
L'Apologie de Socrate a une dimension historique incontestable, ce n'est pas un texte philosophique prenant prétexte d'un procès célèbre. Le Phédon peut à la limite se prêter à une lecture telle, et encore ses germes sont clairement les discours finaux de Socrate de toute façon. Mais, certainement que la mise en forme du Phédon est plus tributaire de la macération intellectuelle des disciples édifiés.
Les dialogues de Platon montrent les débuts de la philosophie face à la sophistique. Il est capital de définir la philosophie en en tenant compte.
Autre chose. Les dialogues offrent l'exemple de discontinuités. Il va de soi que Socrate ne sortait pas comme un fil qu'on déroule les réponses nécessaires à tout propos intellectuel conflictuel. Les débuts de dialogues sont sans doute très fidèles à des situations réelles. Les progressions devaient être telles. Mais une difficulté était parfois posée qui faisait que Socrate en restait là et il allait peaufiner la réponse pour reprendre le dialogue avec le même opposant, ou bien avec ses disciples ou admirateurs.
Les dialogues composés par Platon portent les traces de suture à bien des reprises. Ce sont aussi les rendus pour partie de dialogues vécus, et non des constructions arrangées d'un bout à l'autre.
Bref, celui qui nous pond qu'un dialogue platonicien a une cohérence radicale, que ces sutures n'existent pas, c'est qu'il ne sait pas lire.
Il y a enfin des traces assez nettes d'opposants qui sont pour quelque chose dans la ligue contre Socrate. Dans le premier Livre de La République, un personnage s'impose pour prendre la parole, et Socrate nous dit, ce texte étant à la première personne, que s'il ne l'avait pas vu venir il n'aurait pas su reprendre la parole, propos suffisant pour dire que cette peur n'est pas feinte. Ce n'est pas de l'ironie contre une baudruche. C'est assez remarquable.
Bref, si vous lisez les dialogues de Platon qui sont des éloges de l'authentique philosophie de Socrate, lisez-les dans toute leur saveur historique. Ne soyez pas débiles comme un qui va directement à l'abstraction. Votre lecture en profitera le plus énormément du monde. Mais, si des choses sont insoutenables dans la pensée socratique, ne sous-estimez jamais ce philosophe non plus.
Laissez braire ceux qui croient qu'il existe une philosophie de Platon, ils doivent encore apprendre à lire.
A bientôt.

lundi 14 janvier 2013

Contre les prétendus philosophes


La philosophie doit exposer le plus clairement possible un sujet, ce n'est pas de la Littérature. C'est à cette aune que je rassemble les griefs suivants :

Les professeurs de philosophie et même la plupart des philosophes reconnus récents abusent d'un jargon inutile. Ce jargon n'est pas la précision qui donne son crédit à une science, mais une façon de briller illusoire et surtout un appareil contreproductif générateur de la plus grande confusion.
Ce jargon va de pair avec un assemblage de phrases qui se veulent tellement posées, tellement le signe d'une nuance, qu'un paragraphe devient une suite d'énoncés en biais par rapport à la problématique soulevée, bien que le philosophe puisse suivre rigoureusement les articulations d'un plan.

Le philosophe s'adresse directement à d'autres spécialistes, il ne procède jamais à des mises au point élémentaires. Son discours n'est accessible qu'à ceux qui ont une familiarisation quasi quotidienne avec son sujet. Ce n'est pas normal. Même devant des étudiants en philosophie, ces mises au point sont indispensables. Même devant d'autres spécialistes, même devant soi-même, les mises au point claires et élémentaires sont indispensables.

Il n'est pas normal d'apprécier comme densité philosophique positive la démarche d'écriture qui consiste à replier de l'abstraction sur de l'abstraction. C'est un phénomène extrêmement inquiétant.

Qu'un philosophe cite quarante auteurs dans un paragraphe, c'est aberrant, il ne fait plaisir qu'à son ego. Quelle substance philosophique tirer de l'énumération de quarante noms plus ou moins connus dans un milieu intellectuel donné? C'est pour moi plutôt le signe que j'ai affaire à du pipeau.

Je trouve aberrant que les philosophes puissent passer du coq-à-l'âne. Un texte qui part dans tous les sens, ce n'est pas un écrit philosophique pour moi, c'est du sophisme qui ne dit pas son nom.

Je ne trouve pas normal que les philosophes s'expriment par images et métaphores. Ils ouvrent des perspectives illimitées dont le lecteur va devoir se débrouiller. Ce n'est pas acceptable. Non, Ainsi parlait Zarathoustra n'est pas un livre de philosophie, quelles que soient ses qualités et celles de son auteur. Il faut être clair à ce sujet.

Si des métaphores sont déployées, il faut les justifier, ce qui suppose une définition adéquate. Il faut en philosophie neutraliser le fonctionnement métaphorique des mots. C'est une fausse subtilité que de croire à leur légitimité philosophique mettant un terme au régime arrogant de la certitude, l'arrogance étant bien plutôt de l'ordre du métaphorisme outrancier.
Si on emploie le mot "machine" pour les humains, psychisme et organes, il faut dire pourquoi cette métaphore est choisie, pourquoi elle est juste, pertinente et éclairante. Il faut donner le sens nouveau du mot au plan métaphorique et montrer qu'il s'inscrit bien avec justesse dans le nouveau cadre qui lui est donné. C'est pareil pour le mot "schizophrénie". Et je pense à Deleuze, dont l'oeuvre métaphorique me paraît extrêmement grossière. Il veut séduire et ses citations datées d'Artaud, intellectuel et poète qui n'a pas tenu l'épreuve du temps, ne sont certainement pas un bon signe de la valeur philosophique de ses écrits.

On comprendra que beaucoup de penseurs au verbiage littéraire ne sont pas des philosophes pour moi : Deleuze et beaucoup d'autres. Mais, je pense encore m'attaquer à d'autres auteurs qui semblent pourtant bien rigoureux. J'ai dénoncé les métaphores chez Nietzsche qui laissent trop la part belle à l'interprétation et aux prolongements personnels, bien que Nietzsche soit autrement sérieux qu'un Deleuze, un Bourdieu, un Jankélévitch, un Lévinas ou un Derrida. Mais, je sens que j'ai d'autres modes de nuisance à dénoncer. Foucault, Simondon, Rosset, Gusdorf, Meschonnic, etc.

J'estime que pour briller certains philosophes mettent leur semblant de rigueur et leur érudition du côté d'une pensée suivie, mais non pondérée, histoire de laisser leur empreinte.

Il me semble enfin que la philosophie doit répondre à une question dans les limites du possible et doit rendre aussi des conclusions sur ce qui a empêché la réflexion d'aboutir de manière satisfaisante. Je lis des travaux de professeur de philosophie qui lancent des problématiques buissonnantes où les conclusions ne témoignent en rien d'une prétention philosophique quelconque, à supposer même que le travail aboutisse à des conclusions autres qu'artificielles. Mais je constate aussi le déploiement de travaux reconnus qui ont une rigueur philosophique exclusivement dans des détails et pas du tout au niveau des articulations majeures qui sont livrées à un parfait intuitionnisme.
Il me semble qu'aucun enfant qui a étudié les sciences physiques et les sciences de la vie et de la Terre n'a besoin qu'un philosophe pose péremptoirement la distinction entre le physique et le vital, avant de parler du psychologique et du social. Ces distinctions sont posées intuitivement par le philosophe et ne viennent pas de lui. Je pense ici à la métaphysique de la Nature de Simondon où l'assemblage des notions clefs n'est rien d'autre qu'un jeu intuitionniste. Ce n'est pas de la philosophie, malgré quelques raisonnements poussés sur des points de détail. Quant à expliquer en deux coups de cuillère à pot que l'être ne doit pas se concevoir à partir de l'idée de substance éternelle, mais à partir de la notion de devenir, ce n'est qu'un jeu d'habillage conceptuel et cela est justifié de manière sommaire dans l'oeuvre de Simondon. Cela n'amène rien de neuf sinon le nouvel habit subtil lui-même, tautologie donc desservant l'intuitionnisme qu'il vaut mieux penser le réel en devenir qu'en combinaison d'éléments stables, et tout cela est si sommairement présenté par Simondon que cela n'a pas fait l'objet d'une mise au point philosophique, mais que cela relève bien plutôt d'un intuitionnisme se voulant de plus de "bon sens" qui passe vite au développement supérieur de toute une conception bricolée de ce que serait la Nature en son évolution même. Et toute cette conception n'est fine que de la reconduction de nouvelles mises au point scientifiques étrangères à l'histoire de la philosophie. La métaphysique de la Nature ne relève pas d'une démarche philosophique, mais d'une simple adaptation du discours philosophique aux acquis scientifiques d'une époque. La conception de Simondon essaie de conserver l'idée d'un devenir buissonnant perpétuel indéterminable, mais la part indéterminable n'est rendue que sous la métaphore grossière de "l'énergie potentielle", laquelle se confond volens nolens avec tout ce que la science n'arrive pas à résoudre, et donc avec le report éternel d'un horizon d'attente scientifique. On nuancera seulement en se disant que, pour l'auteur, la physique quantique semble toucher à la limite ultime et rencontrer l'indéterminable définitif ou quelque chose d'approchant, mais cela ne change rien, ce sera toujours le mystère rebelle à la science.
Le discours global de Simondon, rien qu'un intuitionnisme, Foucault un non pondéré qui veut briller, Deleuze du pipeau littéraire avec des métaphores non justifiées de machine désirante et de schizo-analyse. J'envisage vraiment de m'en prendre à tout cela. Je suis effrayé par la réputation de ces gens-là.

Nota Bene: ceci est encore une esquisse et illustre mal mon propos. Je parle bien de Simondon et Deleuze comme de choses entendues auprès du lecteur.
Pour l'instant, c'est le coup de gueule. Mais, je crois que plusieurs lignes de ce qui précèdent sont déjà assez claires. J'énonce quelques vérités simples qui sont de véritables menaces pour les pseudo-philosophes.
J'essaierai par la suite de me limiter à un objet d'étude et à exposer le problème aussi clairement que possible. Un des procédés les plus cruels risque d'être le commentaire d'exemples.